Les périodes de congés sont propices à bien des choses… Tandis que le soleil égaye ma fenêtre, et que je retrouve le rythme doux et désormais régulier du confinement (…), la tentation de reprendre un ancien article est grande…
Souvenons-nous, c’était le 5 décembre 2019. Je reconnaissais sans rancune un grand courage aux intrépides grévistes campés dans le froid, me trouvant bien (déjà à l’époque) tranquillement chez moi, au chaud, entre mon chat et mes livres. Avec une furieuse envie de ne pas travailler. Certes, je pouvais faire ma gestion (que je viens juste de terminer également, tiens, une autre répétition) … Mais si, plutôt, j’observais mon chat ? Et re-voici l’article original.
Il y a quelques mois [en 2019...], Mathieu Maurice et moi avons signé un livre sérieux et amusant à la fois sur la décision en entreprise : « La décision fertile » (Editions Hermann). En apparence, prendre l’exemple du chat pour illustrer un ouvrage sur la décision est une provocation, et c’est pourtant tellement éclairant…
Le chat dit-on est asocial. C’est-à-dire qu’il ne connait pas les règles de la société. Pas de chef de meute chez les chats. Cela ne l’empêche nullement d’être sociable, ni n’en fait un révolté. Simplement, il ne connaît aucune autorité et ignore ce qu’est un ordre. Il ne ferait pas un bon collaborateur.
Le chat semble hésitant. Il peut avec insistance réclamer l’ouverture d’une porte, puis délibérer devant le passage enfin libre pour finalement se résoudre à tourner les talons. On pourrait croire qu’il a un problème de décision. Il ne ferait pas un bon patron.
En réalité, je viens presqu’à mon insu de reproduire une représentation classique de la décision : une décision rationnelle, prise par une autorité, suivie d’une bonne « mise en œuvre » … principes dont, justement, notre livre décrit certaines limites.
Le matou montrerait-il le chemin (involontairement, puisqu’il n’entend guider personne nulle part) ?
Puisqu’aucune parole ne revêt pour lui le caractère d’une injonction, ce qui selon moi était une ferme instruction n’est pour mon chat qu’une simple proposition. Il l’évalue donc soigneusement, pour voir si elle peut tourner à son avantage ou non.
Et si, m’étant finalement résolu à préparer mes déclarations de TVA, je cède à sa sollicitation pressante pour m’écarter un peu de la table et lui offrir mes genoux, il se met à ré-évaluer les alternatives disponibles avant de se décider. 7 fois sur 10 il sautera sur mes genoux (et j’aurai bien du mal à venir à bout de mes problèmes de TVA). Mais 3 fois sur 10, il considérera que le radiateur à proximité est tout de même moins haut, et tout aussi chaud (nous avons des radiateurs bas recouverts d’une pierre accumulatrice).
Mon chat ré-évalue les couples opportunités-risques, et n’exclut jamais de changer d’avis.
Venons-en à notre livre (écrit, en ce qui me concerne, davantage dans les cafés parisiens ou en vacances qu’à la maison, pour les raisons décrites plus haut).
Si vous pensez que la décision est seulement rationnelle, vous risquez de peser indéfiniment le pour et le contre, sans parvenir à trouver un élément probant pour arbitrer. Pour sortir de cette impasse, parfois douloureuse, il faut se poser la question du chat : qu’est-ce qui « tournera à mon avantage ». C’est-à-dire, projeter sa décision dans le futur et se demander si les conditions sont réunies (ou si l’on sera en situation et en capacité d’agréger les conditions favorables) pour que cette décision exprime son potentiel et se révèle bonne.
Autrement dit, ce qui fait la qualité d’une décision c’est sa capacité à inter-agir avec un contexte : avec vos clients, avec votre entreprise, vos collègues et collaborateurs, voire vos concurrents, etc. Ces personnes peuvent-elles en devenir les acteurs, en sorte que c’est votre scénario qui prévaudra et qui ainsi se révèlera, a-posteriori, être la bonne décision ?
Si, à l’inverse, vous pensez que la décision est seulement volontariste, vous risquez de suivre une voie autoritaire, fondée sur des intuitions personnelles ou sur votre volonté de pouvoir. Bien entendu, vous attendrez des autres qu’ils appliquent, donc vous vous priverez de leur capacité d’adaptation au terrain et d’innovation, et, toujours logiquement, vous exclurez toute remise en cause.
Autrement dit, vous risquez de régner sur un monde univoque, où l’information ne circule plus (la parole n’étant pas libre) et dont le sens de l’action s’échappe peu à peu. Puisque la décision est devenue pour vous essentiellement un champ de pouvoir, vous n’autorisez plus la question du chat : « ré-évaluer les couples opportunités-risques ».
Il me semble donc que mon chat, quoique l’on pense de son immense paresse, a découvert trois idées utiles : la bonne décision est un projet qui repose sur la capacité que l’on a de faire tourner un contexte à son avantage. Dans le livre, nous appelons cela « polariser ». Elle est aussi une évaluation continue de couples de risques-opportunités, et donc elle ne se termine jamais (en tout cas, surtout pas au moment où elle est prise). Dans le livre, nous appelons cela « piloter le pari ».
Enfin, sa capacité de devenir générative pour d’autres est déterminante dans le succès d’une décision. Dans le livre, nous appelons cela « polliniser ».
Au fil des pages du livre, il se dégage ainsi (en tout cas nous l’espérons !) une vision vivante et riche de la décision et du décideur, aussi éloignée que possible des caricatures les plus courantes.
… Alors, pâtée ou croquettes aujourd’hui ?
Extrait de « La décision fertile », Christophe Soisson et Mathieu Maurice, éditions Hermann
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