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  • Photo du rédacteurMathieu MAURICE

Les experts prennent-ils de bonnes décisions?

Dernière mise à jour : 14 nov. 2020


Vous vous souvenez d’Astérix chez les Helvètes ? Le questeur romain Claudius Malosinus vient chercher de l’aide auprès de Panoramix suite à son empoisonnement par Gracchus Garovirus, gouverneur de Condate.

Dernière ruse du gouverneur avant l’arrivée de nos amis gaulois, il fait appel à tous les médecins de la ville… en même temps ! La consultation collective tourne à la foire d’empoigne : chaque médecin défend un point de vue différent. La polémique prend le pas sur l’exercice de la médecine. Les égos s’en mêlent. Massilia, Lutèce et Condate entrent en conflit à travers leurs représentants. La joute s’intensifie, chacun y va de sa préconisation et le patient en fait les frais et manque d’y laisser la peau.

Les experts se neutralisent entre eux, entrent en compétition et transforment leurs avis en enjeux personnels. L’écoute est au plus bas. Plus personne n’est capable de se remettre en question. Heureusement pour Malosinus, il lui reste suffisamment d’énergie pour stopper ces débats stériles et choisir l’expert qui lui permet de prendre une décision éclairée : le célèbre druide Panoramix.

3 idées dangereuses sur les experts


Dans une Organisation Hautement Fiable (High Reliability Organization, ou HRO), la mise en puissance des experts est une question essentielle pour prendre des décisions de qualité. Et certains préjugés risquent de nous jouer des tours. Parmi les plus fréquents, ces 3 fausse idées sur les experts :


  • Idée fausse 1 : « Les experts savent ce qu’il faut faire et les décisions seraient meilleures si elles étaient prises par eux »

Pourquoi cette idée est dangereuse ? Parce que, pour permettre aux experts d’apporter leur valeur ajoutée maximale, il est important de les décharger de la responsabilité des décisions. Un expert chargé de décider se transforme toujours tôt ou tard en Cassandre (qui se focalise sur les risques et inhibe l’action) ou en diva (qui devient incapable d’écouter son environnement et de se remettre en question).

Le décideur est donc celui qui sollicite les experts, qui les écoute… sans pour autant les suivre toujours, car au final, c’est lui qui assume la responsabilité de l’action.

  • Idée fausse 2 : « En mettant plusieurs experts de pointe dans une salle, je suis certain de disposer de la meilleure aide à la décision possible »

Si l’expertise est toujours partielle, l’addition des expertises est pourtant rarement fructueuse. Pourquoi ? C’est la combinaison des expertises qui crée de la valeur et la décision éclairée nécessite de confronter et coordonner les expertises, pour avoir une vision globale et systémique. Il faut pour que cela fonctionne un cadre propice à l’expression des experts, leur permettant d’apporter chacun leur valeur ajoutée, sans être en compétition les uns avec les autres, avec un minimum d’enjeu personnel.

  • Idée fausse 3 : « Les experts privilégient une approche rationnelle et scientifique qui leur permet de converger facilement et de s’accorder entre eux »

Herbert Simon, prix Nobel d’économie 1978 et père de la notion de rationalité limitée en a montré les failles. La croyance selon laquelle on peut vaincre l’indétermination par la connaissance analytique et déductive est dangereuse dans les organisations. Elle pousse à l’accumulation de données rationnelles et factuelles donnant l’illusion de la maîtrise. Elle crée des biais dangereux pour le décideur : 1) elle donne un illusoire sentiment de rationalité… mais l’accumulation des données masque la vision globale, les données sont souvent en partie périmées au moment où elles sont traitées, la part d’incertitude et d’irrationnel n’est pas appréhendée (elle est juste niée). 2) Elle aboutit à une inertie décisionnelle dans la mesure où il manque toujours des données pour décider. Cette inertie pousse les équipes à occulter les informations dont elles savent qu’elles vont empêcher les décisions de se prendre. Les décisions tardent à se prendre et les arbitrages finaux se font in extremis, au pied du mur.

Décharger les experts de la responsabilité de la décision


Très peu d’organisations se posent vraiment la question de la mise en valeur des experts et de leur expertise pour en tirer un vrai bénéfice. Pour le faire, un préalable : explorer et clarifier les rôles de chacun.

La plupart des organisations sont soumises à des idéologies organisationnelles et managériales qui les empêchent de penser les moyens les plus performants de tirer parti des experts. Un seul exemple : le triptyque décideur-expert-naïf est le triptyque essentiel pour une prise de décision éclairée. Combien d’organisations se structurent pour mettre en puissance ce triptyque et le rendre fertile ?

Laisser le « pouvoir de décision » aux experts est peut-être la pire erreur possible : une expertise est toujours partielle. Tandis qu’une décision est globale. Prenons un exemple : un juriste peut vous alerter sur un risque contractuel et vous proposer des solutions pour maîtriser ce risque. Mais la décision ne revient pas au juriste : elle revient à celui qui assume la responsabilité de la décision et qui doit mettre en équation des données juridiques, financières, de service client, de criticité de la situation etc. Un expert peut très bien n’être jamais suivi dans ses préconisations, mais réaliser un travail essentiel qui mérite une réelle reconnaissance des décideurs. Dans une organisation hautement fiable, l’expert n’est pas forcément suivi : il est challengé, écouté et pris en compte.

La confusion des rôles (ou plus souvent la non-définition des rôles de chacun), la tentation de certains dirigeants de se décharger de leur responsabilité de décideur en la faisant assumer à des experts, le faible niveau global du management de l’expertise sont des sources de risques pour l’organisation, de mal être et de désengagement des experts, et de perte de valeur.

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