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  • Photo du rédacteurChristophe SOISSON

Dans la tempête ou à haute vitesse, gardons un angle de vision ouvert !

Dernière mise à jour : 8 déc. 2020

Nous savons tous que l’angle mort d’un conducteur automobile est la zone inaccessible à son champ de vision... Ce qui augmente singulièrement le risque d'accident et sa gravité, en particulier lors d'un changement de direction, d’un dépassement ou de l’insertion sur une voie de circulation rapide.

Le code de la route nous enseigne que dans ces manœuvres, il est essentiel de pivoter la tête pour regarder de côté, et même légèrement en arrière. Ce retournement est une métaphore très utile dans notre univers des risques d’entreprise, puisqu’il évoque – mais cette fois au figuré – l’utilité d’effectuer un retour sur soi.


Développons un peu notre métaphore automobile. Le champ de vision d’un être humain avoisine théoriquement les 200°, mais la vision binoculaire couvre un angle maximum de 120°, dans lequel, en outre, tout n’est pas perceptible avec précision. Si la discrimination des couleurs est possible dans un angle de 120°, la reconnaissance des symboles ne l’est que dans un angle de 60° et la reconnaissance des mots, selon les individus, entre 20 et 40°.

Or, cette capacité physiologique n’est que la fenêtre maximale possible. Et c’est l’attention qui détermine le champ d’ouverture. Je me souviens à ce sujet de la démonstration de ce phénomène – un peu inquiétante – lors d’un stage de récupération de points du permis de conduire (expérience que nous ne pouvons recommander puisqu'elle est la conséquence de comportements déconseillés) : l’angle mort au volant augmente avec la vitesse, car celle-ci impose la focalisation de l’attention.


Voilà en tout cas qui parachève notre métaphore automobile : plus un dirigeant, une équipe ou une organisation se trouvent dans le feu de l’action, et moins le champ de vision est large. L’angle mort augmente. Un des risques principaux est alors de perdre sa capacité de « retour sur soi », c’est-à-dire une altération de lucidité quant à son propre fonctionnement, notamment organisationnel.

Illustration d’un « angle mort » ! © Eric Decetis


Il ne manque pas d’illustrations de ce phénomène dans le monde de l’entreprise, mais il est particulièrement visible dans les grands projets.


Quand une organisation cesse d'agir avec lucidité


Une des caractéristiques des grands projets est en effet que, quand ça « part mal », on vire souvent à la catastrophe intégrale. Ayant travaillé dans le monde du bâtiment et des ouvrages d’art, j’ai connu d’assez près certaines de ces catastrophes industrielles où un grand projet qui dérape finit par dépasser ses coûts non pas de 5 ou 10%, mais de 30, 50 voire parfois de 100% ! Il existe sans doute une infinité de causes particulières à ces situations mais une seule est récurrente : la perte de lucidité. Pas forcément celle des individus, ou en tout cas de tous les individus : non, c’est bien en tant qu’organisation que l’on a cessé d’agir avec lucidité.

Et voici en effet que l’on tolère de ne pas appliquer les procédures (pourtant implacablement imposées à des projets plus petits bien moins risqués), que le contrôle financier devient aveugle (sans que l’alerte soit entendue), que l’on veut croire à des hommes providentiels (probablement placés dans l’impossibilité de réussir) et que l’on ne prend pas à temps les décisions nécessaires pour parer aux risques émergeants car celles-ci, vus l’échelle du projet et les enjeux de pouvoir que celui-ci cristallise, sont difficiles à assumer. Bref, on a cessé de voir la vérité… et d’ailleurs, elle n’est plus bonne à dire.

Ainsi, quand, sur un grand projet, une entreprise assume un dépassement financier final de 50%, il n’est pas rare que cela représente le coût de sa désorganisation et non le prix intrinsèque du programme. Par sa taille, par les enjeux internes qu’il a mobilisés, le grand projet a mis en puissance des facteurs humains et des biais organisationnels tels que la mécanique s’est grippée. L’organisation, au lieu de juguler les risques, n’a fait que les amplifier !


Deux priorités nous semblent majeures


La critique est aisée, et telle n’est pas du tout notre démarche. Précisément, tout cela n’advient que parce que le projet est difficile. Les forces de l'entreprise sont très largement engagées pour réussir, le volontarisme est donc indispensable et l’optimisme aussi, même s’il est parfois un peu forcé. Les patrons, et d’autant plus s’ils sont courageux, se retrouvent impliqués jusqu’au cou.

Mais voilà : les garde-fous ont disparu...


C’est pourquoi, dans tous les projets d’une certaine importance, nous sommes convaincus de deux priorités majeures.

La première conviction est que le facteur de risque principal dans ces projets réside à l’intérieur de l’organisation elle-même. C’est la manière dont celle-ci agit collectivement, en termes de management, d’interactions humaines, de gestion informationnelle, de fonctionnement des processus mis sous pression et de culture qui permettra de juguler, ou au contraire aboutira à amplifier le risque externe.

La seconde, et par voie de conséquence, est que le regard d’un tiers intervenant sur le diagnostic des risques est "hautement fiabilisant". Non seulement pour favoriser une objectivité dans l’analyse (cela aussi, bien sûr). Mais également pour qu’il donne à voir ce que précisément on ne regarde plus, volontairement ou non, lorsque la tempête fait rage ou que l'on évolue à haute vitesse, c’est-à-dire : les risques endogènes.

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