Résumé : la capacité à « faire face » (coping en psychologie) est au cœur du management du risque. Face à des menaces ou à des enjeux qui nous dépassent, nous avons naturellement tendance à mobiliser nos réflexes instinctifs, à nous paralyser, à fuir ou à devenir agressifs. Comment dès lors développer notre capacité à « faire face » sans nous laisser abîmer par les épreuves, pour mieux nous adapter : non seulement nous-mêmes, mais aussi nos équipes. C’est l’enjeu de cet article.
Vous êtes-vous déjà intéressé au « COPING » ? Si vous assumez des responsabilités, un jour ou l’autre, vous y avez été confrontés. « Coping » vient de l’anglais to cope with, et désigne, en psychologie la capacité à « faire face » à une épreuve, quand elle nous percute, et quand les enjeux sont tels qu’ils dépassent nos capacités d’adaptation. Pour un entrepreneur ou un dirigeant, la capacité à « faire face » est une compétence essentielle.
Permettez-moi deux anecdotes récentes :
Premier exemple : j’ai RV avec le Président d’une entreprise, dont j’apprends, la veille, qu’elle subit une terrible cyberattaque neutralisant ses systèmes d’information partout dans le monde. J’appelle son assistante, convaincu que notre échange sera reporté. Il n’en est rien et je rencontre un homme au sang froid remarquable, capable de switcher instantanément de la gestion de crise à notre échange : un dernier mot d’encouragement à ses équipes, puis il pose son smartphone et passer 3 heures avec moi concentré de bout en bout. A son image, en un temps record, toute l’entreprise avait réappris à travailler provisoirement sans mail, sans système d’information, sans réseau.
Deuxième exemple : à l’inverse, dans un contexte objectivement moins dramatique et dans une autre entreprise, je participe en tant que coach à un comité de direction de crise, suite à l’annonce de pertes importantes sur un projet. Le DG interpelle ses collaborateurs de façon agressive et brouillonne, répétant à l’un de ses collaborateurs : « je te préviens, c’est toi qui annonceras la nouvelle à notre actionnaire ! ». Mon voisin se penche vers moi et me souffle : « c’est horrible : il pue la peur ». En 20 minutes de réunion, ces dirigeants chevronnés s’étaient transformés en enfants enchaînant justifications, agressions et jugements approximatifs. En quelques jours, toute l’entreprise était entrée dans une spirale infernale de justifications, chacun s’occupant à démontrer qu’il n’était pour rien dans le naufrage plus qu’à chercher des solutions.
Beaucoup d’entre nous ont été malmenés par la récente crise sanitaire et son impact sur les équipes et sur l’entreprise. Une « épreuve du feu » en quelque sorte. Et notre capacité à « faire face » a été fortement sollicitée. Nous avons tous été témoins de comportements de fuite devant la difficulté, voire de défection de certains collaborateurs ou dirigeants, de comportements de paralysie, de dispersion ou d’épuisement, de comportements agressifs, face à la violence de la situation. Avant même de parler de résilience ou de rebond, comment développer notre capacité et la capacité de nos managers, de nos organisations à « faire face » ?
Nous sommes aujourd’hui menacés par 3 phénomènes qui nous fragilisent dans notre capacité à « faire face » :
D’abord la culture de l’instantanéité, du zapping, et la faible habitude de résister à la frustration. Elles génèrent des comportements de fuite face aux épreuve… Fuite parfois salutaire à titre personnel pour celui qui ne sait plus faire face. Mais fuite dramatique pour les organisations.
Ensuite la culture de la déresponsabilisation qui accompagne la judiciarisation des relations : face aux épreuves, il est tentant de se réfugier dans une attitude de justification et de faire en sorte de n’être responsable (donc potentiellement coupable) de rien.
Enfin le haut niveau de complexité auquel nous devons faire face et la sur-sollicitation de nos ressources cognitives et émotionnelle, sans ressourcement suffisant. L’épuisement et la paralysie de nos ressources qui en résultent font des dégâts.
Les managers sont peu accompagnés dans leur développement sur cette dimension du COPING, pour mieux appréhender leurs stratégies d’adaptation, développer leur capacité à faire face et à débusquer les comportements contreproductifs, chez eux et chez les autres. Peu d’entreprises intègrent cette dimension dans leur modèle de leadership et leurs critères de Talent Management… Et trop d’entreprises transforment leurs référentiels, pour des raisons de marketing interne, en une succession sirupeuse de belles intentions.
Et pourtant, la capacité à « faire face » et à trouver des stratégies d’adaptation efficientes en cas de coup dur ou de traumatisme est une dimension essentielle du leadership et du management des risques, dans des organisations authentiquement fiables.
L’enjeu est plus fort encore pour un dirigeant : la complexité augmente d’un coup, les marges de manœuvre aussi… dans des environnements stimulants et exigeants.
Alors que faire ?! Je vous propose 3 pistes :
D’abord au niveau personnel : nous ne sommes vraiment fragiles que par nos angles morts. Une fragilité assumée peut être compensée et anticipée. Mais l’aveuglement sur soi-même, sur sa capacité à « faire face », et sur ses stratégies d’adaptation fait les dégâts les plus lourds. Certains outils, comme le questionnaire de personnalité Intelli7 permettent de décoder nos stratégies d’adaptation, de les comprendre, et de développer notre lucidité. Et cela permet de mieux réagir, ou de mieux s’entourer des personnes complémentaires qui nous remettrons en selle le cas échéant.
Ensuite au niveau managérial : les meilleurs moyens d’exercer notre capacité à faire face sont les exercices de crise et les entraînements. La crise vécue pour la première fois est une épreuve qui semble insurmontable. Le premier entraînement commando est une épreuve terrible pour les militaires. Mais la répétition des exercices de crise nous rend plus serein et plus confiants en nos capacités individuelles et collectives. Elle permet d’acquérir des réflexes et des repères. Elle permet aussi de repérer les collaborateurs les plus efficients dans les coups durs.
Enfin au niveau institutionnel : l’enjeu de la sélection des dirigeants est un enjeu absolument crucial. Au-delà des référentiels de leadership et de talent management officiel, la prise en compte de la capacité à « faire face » aux épreuves fait partie des fondamentaux du dirigeant dont la vie n’est pas qu’un long fleuve tranquille.
Pour finir, une méthode…
Pour un dirigeant, « faire face », c’est revenir aux fondamentaux, et dans un temps très court:
D’abord cartographier les données et les enjeux de façon froide et sans jugement sur la situation. Vous trouverez, j’espère, autour de vous des collaborateurs à sang froid capables de vous aider à jouer ce rôle : ils sont rares et précieux pour vous dé-saturer et apporter du calme.
C’est ensuite évaluer ses marges de manœuvre et ses scénarios d’action, puis les faire challenger par des regards croisés. Vous trouverez parfois, autour de vous, des collaborateurs incisifs, critiques et astucieux capables de vous aider à le faire : ils sont précieux pour changer l’angle de vue, ressourcer et stimuler.
C’est enfin transformer un environnement complexe en ligne de conduite simple à s’approprier pour les équipes, quitte à ne pas tout dire, ou à ne pas être totalement exhaustif. Lorsque vous trouvez à proximité de vous, une personne capable de vous aider à le faire, soignez-là : les compétences sont rares en la matière. L’assimilation de la complexité et la simplicité sans simplisme sont des atouts inestimables.
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