top of page
Rechercher
  • csoisson

Mésadaptation (suite) !

Toute décision est une sorte de pari sur l’avenir, et l'aléa fait partie intégrante du métier d'entrepreneur. Il en fait même le sel, et j’avais d’ailleurs développé ce sujet dans cet article du blog des organisations authentiquement fiables.


Par conséquent, on consacre beaucoup d'efforts – et on a bien raison – pour maîtriser les risques que l’on a pris, pour éteindre les aléas, pour sécuriser les trajectoires. C’est un savoir-faire majeur dans une entreprise. Mais, il y a dans tout cela un énorme angle mort : l’entreprise elle-même, et sa manière de fonctionner.


Les « catastrophes industrielles » racontent toujours la même histoire : au lieu de contenir ou réduire le problème, l'organisation l'a amplifié, et dans des proportions gigantesques ! C’est la caractéristique commune de toutes les catastrophes industrielles.

Cette histoire qui se répète, de loin en loin, se développe pourtant à partir de bases à chaque fois différentes. Dans un projet qui tourne mal, on découvre en général des causes initiales bien identifiées : par exemple, on a sous-estimé le coût, ou bien le délai, ou bien le morceau est trop gros au regard des ressources disponibles à l’instant « t », ou encore le contrat est déséquilibré, et de plus le client est agressif et nous désorganise, etc.


Cette analyse des causes est juste. Pourtant, elle est impuissante à expliquer le facteur aggravant, celui qui fabrique l’effet catastrophique. Pourquoi ces mêmes circonstances, qui après tout ne sont pas rares, n’ont-elles pas eu les mêmes effets sur d’autres projets ? Pourquoi l’entreprise a-t-elle su, en d’autres occasions, redresser la barre ou au moins contenir le dérapage alors que, cette fois-ci, elle semble au contraire l’avoir (largement) accru ?


Parce qu'il s'est produit ce que Mathieu Maurice et moi appelons la « mésadaptation ».


Quand un projet rencontre des difficultés (et surtout, hélas, sur un projet à fort enjeu), un ensemble de mécanismes collectifs va se mettre en route, au sein de l’équipe, de la direction, de l’entreprise, qui peut la conduire à persévérer trop longtemps dans l’erreur, ou à en surajouter de nouvelles, et à amplifier le problème.


A la fin d’une opération de ce type, quand la bagarre s’apaise enfin et que l’on se retourne pour constater la perte (pharaonique…), il est clair que l’entreprise n’a pas payé le vrai prix du projet… mais, le coût de sa propre mésadaptation.


Comment une organisation peut-elle, parfois, amplifier le problème avec autant de constance et même, d'obstination studieuse ?! Dans quelles configurations cela risque-t-il d'arriver ? Comment détecter ces dynamiques dangereuses au plus vite ?


Matthieu Maurice en esquisse les pistes dans cet article du blog des organisations authentiquement fiables.

On peut s’être trompé sans avoir dysfonctionné…


Là où cela devient encore plus intéressant, c’est que l’entreprise, le collectif humain en général, a accru le problème initial, d’accord, mais d’une manière qui lui est propre : en fonction de sa culture, de ses processus de décision, de son organisation. L’organisation n’a pas forcément dysfonctionné. Ce sont ses forces qui, sorties du contexte où elles sont efficaces, se sont retournées contre elle.


C’est un phénomène qui touche à ce qu’on appelle parfois la « cognition » d’une entreprise, c’est-à-dire sa manière d’identifier et d’étiqueter un problème, les tactiques qu’elle applique pour les traiter, et même les valeurs qu’elle cultive.


Toute organisation a accumulé des connaissances et un savoir-faire forgés par l'expérience et associés à sa culture. Ce répertoire circonscrit le champ des problèmes à résoudre et détermine leur résolution. Une organisation n'entreprend de résoudre que les problèmes qu'elle voit, qu’elle est capable d’identifier, et auxquels elle rattache des causes d'un type qu'elle connait. Et les solutions qu'elle met en œuvre sont les routines qu'elle maîtrise et en lesquelles elle a confiance, qui sont collectivement acceptées et qui ont fait leurs preuves.


Si l'organisation ne reconnait pas correctement un nouveau problème et/ou que ses solutions se révèlent inadéquates, alors elle peut perdre ses repères et un ensemble de dynamiques toxiques peut s’enclencher dans le collectif humain.


Tirer le bon enseignement n’est pas facile


Une autre particularité « amusante » de la catastrophe industrielle, c’est que l’on n’en tire souvent aucun enseignement valide. Ainsi, au long des années, les catastrophes reviennent, de loin en loin, toujours différentes, et pourtant répétitives : même forme de mésadaptation, répétée, au sein d’une même organisation. Au point que parfois, les entreprises en nourrissent une sorte de fatalisme.


On apposera à chaque fois des « solutions-patches » : bricolage inutile sur des procédures efficaces, incrimination simpliste des personnes, etc. sans traiter le facteur structurel. Et sans se demander ce qui, au-delà de la situation très particulière à l’origine du problème en question, pourrait faire valeur au niveau de l’entreprise.


Ce qu’il faut parvenir à mettre en éveil, c’est la capacité de l’organisation à apprendre, mais ne disons pas justement, « de ses erreurs » : non, de ses limites. Comment créer de nouvelles ressources, de nouvelles compétences ? Voila l'enjeu !


C'est donc d'adaptation qu'il s'agit et deux niveaux temporels sont à prendre en compte :


1) La réaction à court terme.

Ce qui importe en premier lieu, pour mettre en œuvre les bonnes réactions, c’est la lucidité collective.

Sur ce sujet, une véritable prévention est possible. Tout grand projet qui démarre peut faire l’objet d’au moins un séminaire, animé par un consultant connaissant l’entreprise, qui sensibilise les acteurs du projet aux risques de mésadaptation qui les guettent dans leur contexte précis.

Travail qui peut utilement se doubler d’un versant plus stratégique auprès du management.


2) L’apprentissage à moyen terme.

Là, il s’agit pour l’organisation de générer de nouvelles ressources, compétences et, à terme, routines créant de la valeur.

Cela doit donc être conçu non au niveau de chaque transaction, mais au niveau de l'entreprise (et d’une manière acceptable par tous).

Ce travail n’est pas naturellement réalisé par une organisation, qui, bien souvent, une fois la catastrophe terminée et les solutions-patches mises en place, souhaite passer rapidement à « autre chose ». Ce qui d’ailleurs est utile. Un consultant externe peut animer une démarche d’évolution créatrice de valeur... en écartant vigoureusement toute chasse aux sorcières (de tous ordres…) !

Comments


bottom of page