Toute personne ayant un jour construit sa maison s’est trouvée confrontée aux fameux « travaux supplémentaires ». Il s’agit de ces factures désagréables que l’entrepreneur vous adresse à raison d’imprévus.
Entre les mains d’un constructeur, qui est un virtuose du devis, l’imprévu prend hélas une multiplicité de formes et de couleurs, il en devient presqu’un art. Le « presque » est même de trop : c’est un art. C’est que pour l’entrepreneur, l’imprévu est une opportunité de travaux supplémentaires, alors que pour vous, client, évidemment, c’est au contraire un risque.
L'imprévu est contagieux !
Plus fort encore, l’imprévu est contagieux : il génère une cascade de conséquences. Par exemple, l’entrepreneur a rencontré lors des fondations de vilains blocs de rochers qu’il va falloir démolir, et hop : travaux supplémentaires. Vous pensiez en avoir fini ? Mais voici que cette surprise des sols ne l’oblige pas seulement à faire sauter des amas de cailloux, mais à reprendre ses calculs de structure, et qu’il s’avère nécessaire de renforcer les voiles et les dalles. Est-ce tout ? Mais non, tout cela a demandé non seulement de réaliser des ouvrages plus onéreux, mais de refaire plusieurs fois les études. Cela suffira, donc ? Non. Car l’entrepreneur avait mobilisé des moyens importants, hommes et machines, qui étaient prêts à intervenir dès la fin des fondations, et qui n’ont pas pu travailler en temps et en heure ; or, on n’a pas pu les réaffecter à d’autres tâches dans un délai si bref… et il faut les payer quand bien même ils n’ont rien produit pendant cette suspension. Ah, mais en voilà donc le bout ! Non, ce n’est pas fini. Quoi encore ? Eh bien, le chantier va donc durer plus longtemps. Mais j’ai déjà payé cela. En fait, non, cher client, car malheureusement nous avons des frais généraux. Vous n’avez payé que les frais directs.
L'exemple peut sembler trivial, mais le problème croit exponentiellement avec la complexité des projets. La cour des comptes, dans un rapport de 2007 tirant le bilan d’une décennie de grands chantiers culturels, constatait un dépassement moyen de l’ordre de 30% entre les prévisions initiales et les décomptes finaux. Et des retards s’étalant entre 9 mois et… 45 mois. Tout cela peut donc couter fort cher !
La guerre contractuelle
L’exemple de la maison souligne deux règles générales : tout imprévu induit dans un projet un peu complexe une désorganisation plus large, qui finit par coûter beaucoup plus cher que le problème initial pris isolément. On dirait presque le principe d’Archimède ! Et deuxièmement : autour de l’imprévu, il se noue généralement un (ou plusieurs) enjeu(x) contractuel(s), dans lesquels ce qui pour l’un est un risque, peut constituer une opportunité pour l’autre.
Autant dire qu’au champ d’honneur des projets, la bataille fait rage pour définir ce qui était prévu et ce qui ne l’était pas, ou bien - et c’est évidemment plus fin, - pour déterminer ce qui était prévisible, ou ce qui était réputé prévu, ou bien quelle était la cause première des erreurs ou omissions constatées, s’il était légitime de transférer un risque qui aurait dû rester attaché à la qualité de propriétaire, ou encore, quelle pouvait bien être la véritable intention des parties dans tel ou tel cas non prévu par le contrat.
Comme j’exerce aussi une activité de conciliateur dans différents litiges sur des contrats un peu significatifs (mais aussi d’arbitre, et parfois de médiateur), je me trouve bien souvent aux premières loges pour assister aux batailles juridiques et parfois sémantiques intenses qui se jouent autour de la qualification contractuelle de l’imprévu.
Les travaux supplémentaires préventifs sont différents des autres
Or, il existe un cas où les travaux supplémentaires sont désirables. Vous m’avez bien lu. Et de plus, où ceux-ci devraient être également souhaités par les deux parties en présence. Lesquels ? Précisément ceux qui ont pour objet de minorer les imprévus. C’est-à-dire de prévenir le risque, plutôt que de corriger les conséquences d’un évènement avéré.
Cela s’appelle la gestion des risques.
La principale raison d’être de la gestion des risques est la prévention, c’est-à-dire de permettre la minoration des occurrences et/ou des conséquences des risques. Et cela s’appelle un plan d’actions de mitigation.
Or, la démarche de prévention des risques, dont l’objet est d’anticiper donc d’encourager la mise en place d’actions préventives, peut par ricochet générer des travaux supplémentaires.
Dans un tel cas, lorsque le coût est inférieur aux conséquences de l’évènement redouté pondéré par l’occurrence, ces travaux supplémentaires sont en réalité, des investissements bénéfiques pour le projet et pour le client… Il faut donc les souhaiter !
Il est ainsi recommandé d’opérer une distinction entre les évènements ou demandes de modification préventives (c’est-à-dire les demandes relatives à la mise en œuvre d’une action de prévention ou de mitigation d’un risque) et les autres.
Les demandes visant au financement de mesures préventives ne devraient pas suivre le circuit des travaux supplémentaires. Des mécanismes de financement originaux devraient être envisagés, et placés dans un cadre favorisant la co-gestion des provisions. Les décisions devraient être particulièrement rapides, s’agissant de prévention. Bref, tout devrait être fait pour faciliter l'action préventive, et fuir comme la peste la bataille contractuelle, qui bloque l'action technique.
C'est un changement culturel...
La démarche n’est pas naturelle. La posture contractuelle, tout comme la fourmi de la fable, n’est pas prêteuse. Pourtant, dans le cas du financement de mesures préventives, ce sont de mauvais combats.
Ainsi, prévenir les risques, réduire l’imprévu est non seulement un exercice difficile par nature… Mais c’est en outre, pour les deux parties (le client et le fournisseur), un choc culturel.
De cette transformation des regards dépend pourtant la réussite d’un bon management des risques, avec l’immense bénéfice, pour chaque partie, de consacrer toute son énergie à la meilleure réalisation possible de ses tâches propres, plutôt qu’à la guerre de tranchées.
C’est pourquoi je préfère parler de “gouvernance des risques” plutôt que simplement de “gestion”. Car il s’y mêle des éléments éminemment humains, et même une véritable conduite du changement... Qu'il faut donc accompagner !
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